Au moment où le Festival d’Avignon bat son plein, revenons un instant sur deux œuvres qui y furent présentées en 2010 et 2011 et où la lumière jouait un rôle central. Il s’agit d’un diptyque chorégraphique d’Anne Térésa De Keersmaecker.
Anne Teresa de Keersmaecker est née en Juin 1960 en Belgique, c’est une danseuse et chorégraphe flamande, figure majeure de la danse contemporaine. En 1983, elle crée sa compagnie Rosas et en 1995, elle fonde P.A.R.T.S une école de danse contemporaine.
L’ensemble de son œuvre est intimement lié à une utilisation presque radicale de la musique (qu’elle soit classique, contemporaine, jazz, musique du monde, folk musique) comme support premier de son discours chorégraphique. Sa danse se développe ainsi sur des bases de géométrie scénique (Cercles, spirales, diagonales …) et sonores extrêmement strictes. Ces spectacles se confrontent aux structures musicales et aux partitions de toutes les époques de la musique ancienne à la musique contemporaine.
En 2010/2011, elle crée un diptyque chorégraphique, jouant avec la lumière et le temps composé des spectacles En Atendant (2010) et Cesena (2011) qui sont les œuvres sur lesquelles nous allons nous concentrer ici.
En atendant est une pièce pour huit danseurs, dont la première mondiale a eu lieu à Avignon dans le cloître des Célestins en Juillet 2010. Son écriture s’est bâtie autour de la structure musicale de l’Ars Subitor datant du XIVème siècle. La chorégraphe considère cette musique comme « Hypersophistiquée, très mathématique, complexe, philosophique, presque abstraite. »
Cette pièce est marquée par un jeu précis de lumières naturelles : Soleil couchant, Crépuscule, Lumière déclinante.
En atendant débute par l’arrivée, seule sur scène, d’une flutiste qui durant dix minutes réalise une montée chromatique progressive et absolument continue en pratiquant la technique de la respiration circulaire et fait entendre une des trois voix musicales. Suit l’entrée de la chanteuse qui interprète a capella l’œuvre titre de la pièce et annonce l’arrivée des huit danseurs dans la lumière déclinante de la salle, éclairée par une série de lumières blanches sur le devant de la scène. Alignés coté jardin, les danseurs entament leurs chorégraphies sur la terre battue du Cloître des Célestins. Les mouvements complexes donnés dans leur majorité en silence sont ponctuellement soulignés ou entrecoupés par les musiciens. A l’approche de la fin du spectacle, les lumières sur scène déclinent insensiblement pour finir dans la quasi-obscurité laissant deviner le corps nu d’un danseur.
La création a eu lieu à Avignon dans des conditions d’éclairage naturel, le soir à la tombée de la nuit.
La synergie entre la danse et la scénographie épurée, reposant essentiellement sur l’utilisation du déclin de la lumière et du crépuscule, fût particulièrement remarquée par les critiques, jugeant « l’idée de ce dispositif pauvre et lumineuse ».
Anne Térésa de Keersmaecker à propos de la lumière de son œuvre : « Le crépuscule sera notre éclairagiste »
Pendant lumineux d’En atendant, Cesena (2011) en s’attaque à un versant plus lumineux et optimiste de l’Ars Subitor.
A Avignon, les représentations étaient programmées à 04h30 suivant l’arrivée de la lumière.
La pièce s’ouvre dans la nuit presque totale par un homme qui court vers le public et pousse un cri. Il est nu, reprenant ainsi le dernier tableau d’En atendant et chante a capella. Les autres interprètes, chanteurs et danseurs indistinctement mêlés, tous vêtus de noir et en baskets de couleurs vives, se répartissent dans l’espace de plateau, au centre duquel se devine un cercle de sable blanc, là où le premier volet du diptyque traçait une ligne de terre noire.
Progressivement les danseurs dispersent de leurs mouvements ce cercle. Le groupe des danseurs interprète ponctuellement les chants, avec les chanteurs de Graindelavoix et en l’absence d’instrument contrairement à En atendant qui eux-mêmes dansent des fragments de chorégraphies. Cette très grande proximité entre la danse et la musique, passe un palier supplémentaire dans cette pièce avec la fusion totale des chanteurs et des danseurs, dans leur corps et leurs registres scéniques respectifs.
Lors des représentations théâtrales dans différentes salles internationales, la lumière naturelle est remplacée par nécessité par une rangée de six néons blancs zénithaux qui s’allument progressivement un à un au fil du spectacle, laissant petit à petit deviner l’espace de la scène et les mouvements des danseurs, pour finir après quarante minutes de spectacle par laisser la place à un vif éclairage de plateau.
« Il est impossible d’imiter le soleil, mais le principe d’aller de la lumière à la noirceur et de l’obscurité à la lumière s’obtient de façon extrêmement simple. Je crois que la version en plein air était plus poétique et que la version en intérieur est plus théâtrale et dramatique » Anne Térésa De Keersmaecker